vendredi , 29 mars 2024
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« Un air de Kora » d’Angèle Diabang : une cohésion fragile

www.noocultures.info –  Les lois, religions et règles sont définies pour organiser la marche d’une société et inspirer la cohésion. Mais « Un air de kora », le dernier court métrage fiction de la réalisatrice sénégalaise Angèle Diabang, montre que ce principe ne traduit pas toujours la réalité des faits. La cinéaste interroge l’établissement de la société et nous appelle aux fondamentaux.

Sans totalement renier les codes qui font les coutumes et leur sacralité, on on se demande bien pourquoi la femme ne devrait-elle pas manier la kora. L’incohérence de cette mesure coutumière est aussi attestée par les succès de musiciennes telles Sona Jobarteh (compositrice, chanteuse et instrumentaliste d’origine gambienne et anglaise. Elle est la première femme joueuse de kora) et Sophie Lukacs (cette originaire de Budapest, résidant à Bamako, qui manie à merveille la kora.). Plus généralement, on se demande pourquoi, simplement, on prive la femme de la pleine manœuvre de son intelligence et de sa passion. « Un air de kora » apparaît ainsi comme une continuité des précédents films de la réalisatrice à la suite des documentaires «Sénégalaises et islam » (2007) – où des femmes donnent leurs avis sur l’image de l’Islam dans le monde, le voile, la charia, les extrémistes… – et « Mon beau sourire » réalisé en 2005 – qui revient sur une pratique traditionnelle le tatouage de la gencive répandue en Afrique de l’Ouest. Toutes ces réalisations s’intéressent à la condition féminine…

Sauf qu’avec « Un air de kora », la femme s’exprime par ses passions et non par les mots. La réplique du moine d’origine européenne s’exprimant après le regret de Salma d’avoir joué à la kora, «ne vous excusez pas d’être divine», a traduit toute une symbolique. C’est connu, c’est toujours un élément étranger qui encourage l’opposition. Cette onction pour Salma, actrice principale du film, membre d’une famille griotte virtuose de la kora et la présentation au frère Manuel un moine de l’Abblaye de Keur Moussa à 50 kilomètres de Dakar pour  apprendre les rudiments de la kora vont d’ailleurs déclencher le bouleversement.

Ce qui devait être un stage de perfectionnement va devenir un prétexte pour briser la glace et tisser des intimités. La relation entre Salma et
Frère Manuel est marquée au début par une grande gêne, de la peur, de la distance, de la politesse. De l’hésitation et de l’observation, donc. Comme se préparent les révolutions et les tempêtes sociales. Cette retenue s’explique par le caractère des deux personnages. Salma, jeune musulmane voilée et Frère Manuel, jeune moine, qui a donc fait vœu de chasteté. L’ordre religieux bannit leur idylle, l’ordre social aussi.

Au Sénégal où le dialogue islamo-chrétien semble pourtant trouver son foyer, l’union entre une musulmane et un chrétien reste trop
peu admise même si l’islam ne la prohibe pas formellement. Les sessions d’apprentissage répétées vont favoriser la démystification des
règles sociales et religieuses qui sont opposées au moine et à son élève koriste. Le dialogue des cœurs et le feu de leur passion prennent
le pas sur les lois. L’amour naît entre eux. Le dévêtement du voile de Salma, le dévoilement de ses cheveux, leur baiser, leurs caresses et
leur passage à l’acte sonnent le climax d’une douce et innocente rébellion contre l’ordre établi. Au risque de l’excommunication sociale
basée sur le sceau de l’intolérance.

Cette intolérance a enjambé le terrain de la fiction d’ailleurs. Angèle Diabang, réalisatrice chrétienne, subit l’infortune de ne pouvoir projeter son oeuvre au Sénégal. Cela parce que les communautés musulmane et chrétienne exercent des pressions même sur la direction de la cinématographie pour qu’ « Un air de kora », ne soit pas diffusé au prétexte que ce film est injurieux. Les moines du monastère de Keur Moussa à 50 kilomètres à l’est de Dakar, d’habitude bien pondérés, sont d’ailleurs en première ligne de front. La fiction et les faits trompent ainsi la vérité de la tolérance tant chantée dans le pays, inspirant les questionnements de la réalisatrice. La raison de cet emballement révèle quelque peu nos fragiles compromissions qui rendent certes possible une cohésion, mais qui apparaissent comme une bombe à retardement réglée sur une certaine hypocrisie. Autre part, il serait bien de procéder à une large diffusion du film. La critique serait un bon indicateur pour jauger les perceptions sur le sujet (ce que refusent certainement ces censeurs).

Le garçon qui est né de la relation socialement incestueuse entre Salma et Frère Manuel, à l’insu du papa en soutane, constitue le tableau de notre déni et de notre duplicité. Ce fils naturel est pour faire remarquer à tout le monde l’injustice sociale et le mépris de l’Amour. Il sera le spectre qui rappelle que nos codes et règles manquent parfois (ou souvent) de bienveillance, de pertinence, d’empathie et d’équité.

Avec le choix de la kora comme objet de cette connexion amoureuse, Angèle Diabang rend par ailleurs à la musique sa fonction d’adoucir
les mœurs ébranlées par les vicissitudes de la vie sociale.

Mamadou Oumar KAMARA (Sénégal)
3ème Prix du concours panafricain de critique d’art, option Cinéma, organisé dans le cadre du Programme NO’O CULTURES
Une initiative de l’Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle (APIC), en collaboration avec la Fédération Africaine de Critique Cinématographique (FACC) et la Société SUDU Connexion

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