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« Un air de Kora » d’Angèle Diabang : la force des frontières fragiles

www.noocultures.info – Le court métrage fiction « Un air de Kora », réalisé par la sénégalaise Angèle Diabang en 2019 et doublement récompensé au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) au Burkina Faso, est un film qui s’inscrit dans le projet artistique de la réalisatrice qui, depuis ses débuts en 2005 et surtout avec son premier documentaire « Mon beau sourire », a cherché à défendre la place de la femme et ses droits dans la société.

A l’instar des structures minutieuses des fictions, « Un air de Kora » obéit à la théorie des trois actes qui respectent dans une large mesure la dimension du temps du récit filmique : le premier acte est réservé à l’exposition et la réalisatrice nous a fait découvrir les lieux, les personnages et a annoncé une part de l’intrigue sans pour autant tomber dans la révélation imprudente du dénouement. Le deuxième acte a été réservé à la révélation progressive d’un sentiment d’amour entre Salma, membre d’une famille griotte virtuose de la kora, et Manuel, moine de l’Abbaye de Keur Moussa à 50 kilomètres à l’est de Dakar, les deux personnages principaux du film ; un fait nécessaire à l’histoire et présenté au récepteur à petites doses capables de créer l’intérêt et le suspense. Quant au troisième acte, la réalisatrice l’a consacré à attiser le nœud et chercher un dénouement ouvert, loin des happy-ends.

Les espaces et les costumes

« Un air de kora » est un film qui laisse réfléchir sur l’espace, les décors, les costumes et leur apport à l’histoire et au foisonnement de la narration. Les lieux où évoluent les protagonistes, individuellement ou ensemble, sont clos et parfois présentés en compartiments comme c’est le cas de la maison de famille de Salma. Cet espace reflète la ségrégation basée sur le genre car d’un côté se trouvent les hommes en train de se distraire et jouer de la kora, et de l’autre, des femmes en train de peiner pour nourrir les hommes. Cette séparation est mise en doute par la réalisatrice parce qu’elle a choisi un moyen de séparation dérisoire : un drap.

Manuel, à son tour, vit dans un espace cloîtré, un monastère qui limite ses aspirations et son talent. Il est contraint de jouer presque toujours
les mêmes morceaux avec les mêmes personnes et pour les mêmes finalités. Les visites de Salma n’ont apporté que de légers changements à son mode de vie et les deux protagonistes passent ensemble de rares moments mais dans des lieux clos. La seule ouverture qui donne sur une nature verdoyante est mise en arrière-plan lorsqu’ils se dirigent vers la chambre des répétitions.

Les costumes, dans le film, revêtent une importance particulière. La réalisatrice a cherché à présenter un Manuel toujours avec le même costume pour montrer son conformisme et son inaptitude à être autonome et évolutif. Cependant, Salma, malgré les contraintes, est
présentée avec différentes robes qui reflètent son état d’âme et informent sur l’évolution de ses sentiments et du récit car c’est elle qui a pris
toutes les initiatives.

Le latent dans le film, des ellipses éloquentes

Partant du principe de René Prédal (critique de cinéma français) que toute beauté n’est pas bonne à révéler, la réalisatrice a opté pour des ellipses qui laissent réfléchir le récepteur pour bâtir son horizon d’attente et le confronter par la suite aux choix de la réalisatrice. Elle n’a pas voulu verser dans les explications et les redites. En clair, elle n’est pas tombée dans le piège de dire par le verbe (dialogues) ce qu’on peut dire par les images.

Angèle Diabang a su, de façon sublime et intelligente, rendre hommage à la femme. Le plan, au début, sur les doigts de Salma rimant avec les notes de la kora provenant d’un hors champ, montre que ces mêmes doigts peuvent aussi bien jouer une belle mélodie que préparer un couscous. La jeune femme a su, à travers le film, s’émanciper paisiblement et sans tracas, elle a pu franchir les répressions sociales, religieuses; familiales pour aller rencontrer son objectif ; contrairement à Manuel qu’on peut considérer comme un faux héros car il n’a fait qu’obéir : à son supérieur, au monastère et à Salma. Cette dernière a été l’initiatrice de Manuel.

« Un air de kora » est certes un film la condition de la femme en Afrique, mais il est également un message sur l’amour, la coexistence, les valeurs et sur le dilemme entre ce que l’être est et ce qu’il espère être. Un état dont plusieurs paramètres interviennent et façonnent la vie
de l’être humain, malgré leur fragilité. Le film, malgré sa beauté et son éloquence continue à subir une censure menée par les détracteurs de l’expression artistique libre. Et cela ne fait que confirmer qu’Angèle Diabang est la voix qui réclame, dénonce et dérange.

Cherqui AMEUR (Maroc)
1er Prix du concours panafricain de critique d’art, option Cinéma, organisé dans le cadre du Programme NO’O CULTURES
Une initiative de l’Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle (APIC), en collaboration avec la Fédération Africaine de Critique Cinématographique (FACC) et la Société SUDU Connexion

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