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«Une femme, un destin» de Hanifa Ali Oumar : appel à l’autonomisation

www.noocultures.info – «Silhouette d’Or du Prix Spécial du Jury» de la 8ème édition du Festival International du Cinéma Indépendant de Bafoussam (Cameroun), tenu du 6 au 14 mars 2020, «Une femme, un destin» de la jeune réalisatrice Hanifa Ali Oumar, est un court-métrage (fiction de 28 minutes, sortie en 2019) abouti sur la difficile condition de la femme et surtout la veuve.

«Ce que je traverse est aussi amer que cette noix du savonnier», énonce l’actrice principale du film Achta Djabar. La symbolique de l’amertume de la noix du savonnier pose la condition insupportable de la femme tchadienne entravée par les survivances des multiples facettes de la tradition et ses corollaires, à l’ère de la modernité. La jeune Achta, mère de deux enfants, ayant abandonné l’école en classe de la 5ème, se retrouve veuve avec le décès de son mari. Comme contrainte par son «destin», elle s’embarque dans un mariage fait de multiples promesses pour avoir une certaine stabilité afin d’élever ses enfants. «J’espère qu’on ne déménagera de cette maison», lui rappelle sa fille de 8 ans. Son destin bascule lors de sa rencontre «brutale» avec sa camarade de classe, Amalkheir, divorcée, elle aussi, devenue «coordonnatrice d’une ONG» qui lui prête de l’argent pour entamer son commerce.

Pour son premier coup d’essai, la réalisatrice Hanifa Oumar Ali avec sa fiction «Une femme, un destin», réussit un coup de maître. La première scène du film plante le décor de la condition précaire de la veuve servant le dîner insuffisant à ses enfants. Déjà, le spectateur va être plongé par petites doses dans les dédales du film. La réalisatrice parvient à créer les conditions des déboires de son héroïne subissant toute sorte d’humiliation et des contraintes liées aux pesanteurs socio-culturelles avant son autonomisation.

Ce court-métrage, apparemment proche de la réalité, s’appuie sur des flashbacks présentant un présent difficile à supporter et un passé chimérique. Grâce à des fréquents retours en arrière, surtout en blanc et noir, la réalisatrice semble entraîner le spectateur dans la «tête» de l’héroïne. Les silences, pourtant, alourdissent l’atmosphère du film rendant une certaine solennité à la marginalisation de la femme. Les dialogues simples et soutenus offrent au film un certain positivisme trop proche du drame social. Aussi, la musique mélancolique de la complainte du début cède-t-elle la place au gré de l’évolution du film à une atmosphère presque gaie.

Avec «Une femme, un destin», Hanifa Ali Oumar place la femme tchadienne dans un résumé minimaliste à l’entretien de son foyer conformément aux us et coutumes en vigueur. Négligée, elle n’aura pas d’oreilles attentives pour écouter ses plaintes. De même, toutes les promesses faites par son mari sont avérées des véritables châteaux de carte. «Les promesses en amour ne concernent que ceux qui s’y accrochent fermement», indique un adage populaire. Son nouveau mari, financièrement stable, refuse de subvenir à ses besoins et à la scolarité de ses enfants.

La réalisatrice, observatrice de l’évolution de la société tchadienne, encore arc-boutée dans ses reliques du passé, fustige le manque d’épanouissement de la femme et même de la jeune fille. En tant que femme, elle voit également «le destin» fait de hauts et de bas de ses consœurs se nouer sous ses yeux. La précarité pousse même certaines familles à sacrifier l’avenir de la petite fille au détriment du petit commerce. En se renseignant sur les bénéfices du petit commerce, la veuve Achta semble ouvrir les portes de l’irréparable. Envoyer sa petite fille de 8 ans, pourtant scolarisée, dans les rues de N’Djaména, avec toutes ses conséquences, faire le petit commerce pour le salut de la petite famille, constitue une autre paire de manche de problèmes que de solutions. Et pourtant la scolarité de la jeune fille est le soubassement sur lequel l’avenir de la société toute entière peut se poser. «Ne prends pas l’avenir des enfants à la légère. Bâts-toi pour leur bâtir un avenir pour que demain ils prendront soin de toi», rappelle Amalkheir dans le film.

Si le statut de la femme constitue le noyau du film, les soubresauts de ces dernières années, liés aux mouvements féministes ayant donné un certain tempo à la marche du monde et du Tchad en particulier se retrouvent en arrière-plan. La fille-mère Achta Djabar, même devenue autonome grâce à son commerce, devrait faire face aux multiples avances du chef de bureau des douanes et aux coups de jalousie et de soupçons d’infidélité de son mari. «Ton commerce ne m’inspire pas confiance. Tu dois choisir entre ton commerce et moi», tranche-t-il.

Le court-métrage «Une femme, un destin» de la réalisatrice Hanifa Ali Oumar est remarquablement mené par des acteurs «locaux» au talent confirmé. Il peut être considéré comme l’apport et la vision d’une femme pour un monde égalitaire, louant en quelque sorte le courage, la bravoure et la vision de la femme Tchadienne, qui arrive à surmonter ses déboires et réussit à s’affirmer dans un «environnement aussi hostile que pervers comme notre société». Comme pour donner un coup de pied à son destin précaire et rendre la monnaie à son conjoint, les pleurs du début du film ont cédé la place à un rire jaune, une raison de plus pour lutter davantage pour l’émancipation et l’autonomisation de la femme, mère de l’humanité.

 

Mahamat Alhadi SALEH (Stagiaire / Tchad)

NB : Article produit dans le cadre de la 2ème session de la formation en critique d’art organisée dans le cadre du Programme NO’O CULTURES

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