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« Tant d’errances » de Mambi Magassouba : l’Afrique face au monde

www.noocultures.info – Le roman « Tant d’errances » de l’écrivain guinéen Mambi Magassouba, paru en janvier 2020 chez L’Harmattan Guinée est en course pour le Prix littéraire Ahmadou Kourouma Genève 2020. Ce roman de 204 pages est un réquisitoire contre les injustices humaines subies par les africains en Afrique et ailleurs. L’auteur emprunte la fiction pour dénoncer le racisme, les dérives des systèmes de gouvernance et le pillage des ressources des africains.   

« Tant d’errances » est une fiction inspirée des réalités auxquelles font face les pays africains. Une dénonciation pure et simple des injustices humaines auxquelles l’Afrique et ses enfants sont confrontés chez eux et à travers le monde. « Tant d’errances » se classe dans la collection « Écrire l’Afrique Guinée » de L’Harmattan Guinée, «…qui souhaite rassembler des romans et des récits qui décrivent des sociétés à travers des histoires révélatrices de ce que vit la population du pays et d’un continent traversé par de multiples bouleversements». C’est bien dans cette démarche que s’inscrit ce roman de Mambi Magassouba qui, dans un style rénové, libre et humoristique décrit le triste sort réservé au continent africain.

Dans les premières pages du livre, l’auteur-narrateur et personnage du livre nous présente une Afrique paisible sous le quotidien d’AKafokafkè, un quartier imaginaire de la capitale guinéenne adossé à la mer et dont les habitants vivaient de la pêche. Comme toute société, AKafokakè avait ses problèmes quotidiens mais les plus tragiques viendront de l’extérieur avec la complicité des dirigeants locaux sous les ordres des commanditaires du malheur des autochtones.

Le racisme, l’exploitation des ressources minières des pays africains, l’émigration, la religion, la mauvaise gouvernance sont entre autres les thèmes abordés dans « Tant d’errances ». Au départ, des jeunes d’Akafokakè dont le narrateur Fakoun Fila et son ami La Boule, après l’obtention de leur baccalauréat, bénéficient des bourses d’étude pour l’Algérie. Là-bas, ils sont confrontés à un racisme aux relents tragiques. Ces jeunes, à la recherche d’un lendemain meilleur, vivent un racisme truculent qui se déroulait au gré de l’humeur de leurs agresseurs. Des regards teintés de mépris, des humiliations et une cabale des jeunes arabes qui « cassaient du nègre » comme bon leur semble, en toute impunité, sous le regard approbateur des autorités du pays.

« Tant d’errances » dénonce la manipulation des dirigeants africains par l’occident. Ces gouvernants installés au pouvoir et qui ne peuvent rien refusé à leurs bienfaiteurs. Ils vont jusqu’à les soutenir dans leur sales besognes sur le continent africain. L’exploitation des ressources naturelles dont regorge le sol africain est faite parfois au péril de la vie des occupants des lieux comme l’illustre bien cet accaparement destructeur du quartier Akafôkakè par un consortium Algéro-francais. Enviée pour la richesse de leur sous-sol, les habitants d’Akafokakè sont contraints à quitter les lieux afin que le consortium puisse en extraire les précieuses pierres. Les quelques habitants fidèles au régime en place acceptent de quitter la terre enviée et pendant que ce qui refusent de céder la terre vont être exterminés par une armée des soldats.

A sa place nulle part ?

Réputée pour la richesse de leur sous-sol qui regorge de l’or, de pétrole, du fer et bien d’autres minerais de valeur, les africains vivent dans une précarité sans précèdent. Les multinationales exploitent leur richesse avec la complicité des dirigeants africains dont ils achètent le silence. Ils sont combien de jeunes africains, poussés à l’exil pour échapper à la misère, qui sont engloutis par  l’Atlantique ? Et ces hommes et femmes qui errent sans espoir car dépossédés de leurs terres ?

« Tant d’errances » nous interpelle sur les conséquences néfastes de l’accaparement des terres à travers l’histoire de Bamana, un jeune malien dont la famille a été dépossédée de ses terres cultivables aux fins d’exploitation minière. Unique espoir de sa famille vivant dans une extrême pauvreté, Bamana quitte son pays dans l’espoir d’aider les siens. Victime de racisme des arabes en Alger, il y laisse sa vie suite à la destruction d’un bidonville où il avait trouvé refuge comme beaucoup d’autres noirs émigrés. Pire, les nègres tués sont enterrés comme des vulgaires animaux sans aucune dignité humaine. «Non seulement ils nous haïssent, mais en plus ils nous méprisent» lâche un personnage noir.  

La race noire est considérée par certains de couleur différente comme une sous-race qu’ils n’hésiteront à sacrifier sur l’autel du profit ou par mépris. Injustement jugés suite à la mort des arabes sous les coups  de leur ami le colosse et brave Kemba lui aussi mort de ses blessures, les jeunes se trouvent exclus de l’Algérie. C’est grâce à une association qui devrait assurée leur défense qu’ils se retrouvent en France pour poursuive leurs études. La configuration de la société française ne permet pas leur intégration. Après tant d’errances dans l’hexagone, ils retournent au bercail sans aucune qualification et retrouvent leur quartier, devenu chantier d’exploitation minière. Finalement où seront-ils chez eux en paix ces pauvres africains ?

L’héroïsme de la femme africaine 

Cependant, toute la souffrance du continent africain n’est pas imputable qu’aux occidentaux et aux autres qui nous méprisent. « Tant d’errances » pointe du doigt le manque de solidarité et les discriminations tribales voire sociales aux connotations racistes entre les communautés africaines. Le racisme n’est pas qu’une question de couleur de peau. L’autre forme de racisme qui sévit entre en Afrique est l’ethnisme, le refus de l’autre frère parce qu’il est issu d’une autre communauté ou d’une classe sociale différente. A cela viennent se greffer le népotisme et la corruption des dirigeants qui s’enrichissent avec l’argent du contribuable.

Mambi Magassouba magnifie également les africaines dans son livre. Elles incarnent le courage et la bravoure. Nondi, la présidente des Amazones d’Akfokakè en est  une belle illustration. Si le quartier a pu résister pendant longtemps aux attaques des envahisseurs, c’est grâce à l’héroïsme  de Nondi, symbole de résistance prête à se sacrifier pour les siens. Elle combattra l’ennemi jusqu’au dernier goutte de son sang.

 « Tant d’errances » fait rire son lecteur tout en l’amenant à s’interroger sur le sort de l’Afrique et ses enfants. « J’ai écrit uniquement par devoir. Pour permettre à la nouvelle génération de se prémunir » dit l’auteur dans l’épilogue du livre. Mambi Magassouba est un talentueux écrivain même s’il refuse de l’admettre. « Je ne suis moi-même pas un écrivain. Je ne suis par ailleurs qu’un piètre orateur…» dit-il au départ mais il finit par surprendre agréablement son lecteur car derrière cette modestie se cache un génie de la plume. Sa maitrise de la langue française, son style épuré empreint d’humour, le place sur l’échiquier des grands écrivains.

Au fil des pages, le lecteur tombe sur des mots voire des phrases dont certains ne sont pas traduits et donc inaccessibles aux lecteurs non guinéens où qui ne comprennent pas cette langue. Une mise en valeur des langues langue locales guinéennes qui vient soutenir l’authenticité de l’intrigue de la chronique.

Divisé en quatre grandes parties, « Tant d’errances » est une véritable errance qui promène le lecteur entre les supplices des sociétés africaines. Chacune des thématiques interpelle et pousse le lecteur à s’interroger sur le sort de l’Afrique et ses enfants au point où il se demande si, finalement, cette errance est une fatalité pour le peuple noir ?

Youssouf Koné ©www.noocultures.info

1 Comment

  • C’est très possionant et epoussetouflant, la lecture du Raman Tant d’errance
    chapeau pour l’auteur Mambi Magassouba qui est à encourager, et nous sommes très fiere de ses dénonciations🙏🙏🙏

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