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« La dernière nuit du Raïs » de Yasmina Khadra : La version de Kadhafi

www.noocultures.info – Sorti en 2015 aux éditions Juillard, La dernière nuit du Raïs est un roman de l’algérien Mohammed Moulessehoul, alias Yasmina Khadra qui retrace la très mouvementée dernière nuit du guide libyen Mouammar Kadhafin réfugié à Syrte.

L’écrivain à la signature d’une femme est l’auteur d’une quarantaine de livres couronnés de plusieurs prix dont le Prix des librairies 2008 avec ce roman. Dans ces 207 pages aux relents aussi passionnants que dérangeants, Khadra revient sur la fatidique soirée du 19 au 20 octobre 2011 au cours de laquelle Mouammar Kadhafi, acculé par des rebelles déterminés à libérer la Lybie, se réfugie à Syrte. La narration chronologique de la vie du guide est meublée d’épisodes de la jeunesse de Khadafi et de ses pensées les plus sombres. Entre les flashbacks de sa vie et le récit de cette nuit en feu, la double  personnalité de Mouammar se livre une bataille sans pareille. L’on découvre sous la carapace de cet increvable guerrier dopé aux proses et vers d’un oncle poète,  un enfant envahi par un vide aussi grand que l’univers.

L’ablution de l’esprit et désillusion

« Mon oncle jurait que j’étais l’enfant béni du clan des Ghous, celui qui restituerait à la tribu des Kadhafa ses épopées oubliées et son lustre d’antan ». C’est ainsi, à coup de responsabilités et d’optimisme sans précèdent, que l’enfant Kadhafi est bercé dans le désert libyen. Sa figure paternelle de substitution chérie, allait toujours plus loin dans l’« ablution de l’esprit » du jeune brave, lui décrétant la lune comme étoile. Le guide lui doit sa détermination hors norme et sa démesure à tout point.

L’insaisissable élève de Sebha et Misrata devient un adolescent justicier, puis un intrépide officier de l’armée libyenne qui va jusqu’à en découdre avec la fainéante monarchie à seulement 27 ans. Peu avant son sacre, entre deux grades, le jeune capitaine d’alors découvre une vérité qui le changera à jamais : l’origine tant recherchée de son géniteur: « D’après l’enquête que nous avons mené auprès de votre clan, vous êtes né de père inconnu. Certaines indiscrétions avancent que vos êtes l’enfant naturel d’un corse nommé Albert Preziosi… » Lui lança avec désinvolture et dédain son subalterne.

Mouammar ne serait donc pas le fils d’un père mort dans un combat d’honneur. Les litanies de son oncle sont fausses ! Et Kadhafi ne pardonne pas…Il ne pardonnera plus à personne. Tout bascule. Plus à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est la rupture. A son optimisme à toute épreuve se greffe un sentiment malsain : la colère. Le guide est amer avec ses frères arabes. La France et les Occidentaux n’auront droit qu’à son mépris. Sa famille, plus rien ! Aux traîtres, rebelles et autres belles désirées, le lourd châtiment. Irritable et susceptible comme personne, Le justicier d’hier fait plus la pluie que le beau temps dans son pays. Les cris du peuple excédé parviennent à une oreille maligne…

 L’autre exploit de Yasmina

La dernière nuit du Raïs est le second exploit du genre signé Yasmina Khadra. L’auteur tout comme dans Khalil, une recrue kamikaze qui aurait dû mourir au nom de Dieu mais dont la ceinture n’explose pas au Stade de France le vendredi 13 novembre 2015, va se glisser dans la peau du redoutable tyran Kadhafi et nous dresser son état psychologique. Mouammar n’est pas né ainsi. Kadhafi a eu une enfance assez trouble dépourvue de l’affection d’un père. L’enfant s’est pratiquement forgé un monde à lui tout seul avec des tissus de mensonges qui avaient valeur de talisman à ses yeux. Il a connu la déception, la blessure n’a pas cicatrisé et en a fait plusieurs victimes à la chaîne…

Ce roman est également l’autre version méconnue, la caution et l’alibi de ce personnage tellement controversé. L’autre puzzle manquant à l’histoire et au monde qui l’aurait trop vite  jugé et condamné. Ceci dit, le vide intérieur reste un mal silencieux aux dégâts réversibles à condition de toucher avec pleine responsabilité sa souffrance et la transformer en or. « Tes blessures ne sont probablement pas de ta faute, mais ta guérison est de ta responsabilité », dit Gbané Yacouba

Rita DRO (Côte d’Ivoire)
NB : Article produit dans le cadre de la 1ère session de la formation en critique d’art organisée par l’
Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle – APIC

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