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Gabès Cinéma Fen 2022 : démocratiser l’art et l’image

www.noocultures.info – Officiellement lancé le vendredi 6 mai, Gabès Cinema Fen  maintient son objectif de rapprocher l’art vidéo et le cinéma du public. 

Quand on met sa jeunesse en face de son engagement, on est tout de suite impressionné. Gabès Cinéma Fen (le terme Fen veut dire Art en arabe) entend vulgariser les différentes modes de cinéma ; mais il ambitionne également à sensibiliser les publics aux problématiques écologiques. Et surtout, selon les organisateurs, « à explorer à travers les films et dans le débat des voies de sortie de la crise environnementale sévère que connaît la région de Gabès qui héberge notre festival ».

Le festival qui a ouvert sa 4ème édition le vendredi 6 mai 2022, dans la ville de Gabès au Sud-Est de la Tunisie, a lancé tout azimut ses activités. Le défi majeur étant de consolider les acquis, avant de proposer d’autres approches innovantes. A l’instar de l’évènement « T3ALA Chouf » qui fait son entrée physique cette année. Il se décline en une immersion dans les mondes du cinéma égyptien à la fin des années 1960 et au milieu des années 1980, proposée par la présidente d’honneur, Hend Sabri. À travers la projection de deux films : La Terre, 1969 de Youssef Chahine et AL Bidaya, 1986 du pionnier égyptien du réalisme, Salah Abu Seif.

Pour ce qui est des acquis, ils portent sur l’engagement de ce festival à mettre en avant les expressions artistiques qui racontent des histoires en dehors des représentations dominantes telles que le cinéma ou la réalité virtuelle. Parmi ces expressions, on retrouve l’art vidéo, encore peu connu et inhabituel dans les fréquentations des publics. Il constitue cependant l’ADN de Gabès Cinéma Fen.

Samedi 7 mai 2022, a eu lieu le vernissage de l’exposition EL KAZMA (le bunker en français) aux containers près de la Corniche. Ouverte durant tout le festival, elle propose au public les œuvres sélectionnées par le curateur libanais Rabih Mroué, artiste pluridisciplinaire, vidéaste et auteur/ metteur en scène de théâtre. Montée à partir de 14 œuvres filmiques, de durées variables, l’exposition permet d’immerger dans l’univers de 12 artistes provenant de huit pays différents. Des artistes ayant en commun un intérêt pour le pouvoir de l’image ou de son absence sur nos vies.

La responsable de la section Art vidéo, Fatma Kilani relate, avec enthousiasme, la trame de cette discipline qui a pris corps depuis la première édition du festival.

Fatma Kilani : « Cinéma, vidéo et réalité virtuelle ça fait sens ».

Fatma Kilani, responsable de la section Art vidéo / Gabès Cinema Fen

Quel est l’objectif de cette exposition sur l’art vidéo ?

Le principe, c’est présenter cet art à des publics différents, les publics qui ne vont pas forcément vers l’art. On le fait dans des lieux inédits comme des écoles, des facultés, mais aussi dans des régions où il n’y a pas d’art contemporain et Gabès en fait partie. Quand l’idée du festival est arrivée, on s’est dit que l’art vidéo avait toute sa place à côté du cinéma. Après, tout on est dans l’image en mouvement. Donc, cinéma, vidéo, réalité virtuelle ça fait sens. On croit en l’idée qu’il n’y a pas de frontières entre les arts. Beaucoup de réalisateurs présentent des travaux dans l’art vidéo. La programmation est en quelque sorte différente parce qu’on est dans l’art vidéo. On est dans des problématiques qui sont aussi traitées dans le cinéma, mais avec une dimension artistique beaucoup plus importante. Et c’est intéressant d’avoir le regard des artistes sur ces problématiques-là.

D’où vient le nom KAZMA ?

KAZMA, c’est en référence à un bunker qui se trouve pas loin de la corniche. Il date de la deuxième guerre mondiale. Il y a eu des bombardements allemands ici, la Tunisie étant une colonie française. Donc on trouve des bunkers dans plusieurs villes de Tunisie. EL KAZMA, c’est un lieu de rencontre très important à Gabès, où se retrouve la plupart des jeunes, c’est un endroit très fréquenté et qui parle aux Gabèsiens et aussi à toutes les villes de Tunisie où il y a ces bunkers. Ensuite, ce qui nous a intéressé, c’est qu’un bunker est un poste d’observation, et nous la vidéo, on la présente aussi comme une fenêtre sur le monde. Chaque année, on essaye de choisir un artiste, un curateur d’un pays différent qui puisse aussi nous donner l’accès à des artistes de continents différents. C’est un voyage, un regard que l’on porte le plus loin possible sur la création.

KAZMA, c’est en référence à un bunker.

Comment s’est fait le choix des artistes ?

Cette année, nous avons voulu donner au curating, une dimension expérimentale. Je trouve intéressant de voir la sélection d’un artiste, qui dans sa globalité fait œuvre et donne une dimension supplémentaire à la programmation. La sélection du Libanais, Rabih Mroué a été en quelque sorte pour nous aussi la découverte de plusieurs artistes.

Hito Stayerl, par exemple, est une artiste allemande d’origine japonaise très connue, qui a exposé dans de grands musées. Harun Farocki qui est aussi Allemand ; Eric Beaudelaire, un artiste français qui a fait Sciences Po aborde l’art vidéo aussi comme un moyen d’approfondir la pensée politique. Il y a une artiste Serbe, Milika Tomic, donc la vidéo est très intéressante. Elle se présente dans son identité individuelle, et en même temps elle décline son identité dans 60 langues. Le fait d’utiliser ces langues-là lui donne, en tant que femme, une identité collective qu’elle revendique dans cette œuvre. Il y a Maher Abi Samra qui est un réalisateur libanais connu. On a Naeem Mohaiemen qui est du Bangladesh. En somme, différents artistes de différentes nationalités avec, forcément, des thématiques qui se rapportent à leurs régions mais qui ont toutes un rapport d’analyse profonde de ce que peut être l’image.

Quelles sont les thématiques abordées ?

Elles sont diverses. Il y a évidemment l’image qui est au centre. Par exemple dans le travail d’Harun Farocki, c’est l’image à travers la caméra de surveillance. Il travaille aussi beaucoup sur la technologie. Dans l’œuvre qu’il présente ici, il y a une phrase qu’il dit : « la production c’est aussi la destruction ». Produire par exemple des missiles c’est formidables, il y a tellement de technologie là-dedans, il y a des caméras qui sont encore plus pointues que celles des photographes, des artistes, qui vont pointer des cibles et en même temps c’est un élément de destruction. Et dans son film, il y a un parallèle entre les deux qui est très intéressant. Ensuite, il y a la prise d’otage. Dans un travail de Hito Stayerl, elle évoque le cas de l’armée rouge, qui était une armée révolutionnaire japonaise qui s’est rebellée contre beaucoup de choses. Elle s’est aussi beaucoup intéressée à la cause palestinienne et a essayé de la défendre à travers des actions. Et là, il est question justement d’une des membres de cette armée rouge qui est fugitive. Elle se réfugie au Liban, change régulièrement de lieu, sa fille nait alors que sa mère est fugitive et pendant 17 ans elle a une fausse identité. Il s’agit ici de voir comment l’absence d’images peut aussi être un élément destructeur dans la construction de soi.

Depuis que vous organisez cette exposition, quel est le rapport du public avec cet art ?

Nous sommes confrontés à plusieurs challenges. Le premier, c’est de présenter le médium. La vidéo, ce n’est pas un médium très connu dans l’art contemporain. Il est d’ailleurs plutôt négligé dans les expositions, c’est un médium qui nécessite une place à part, plutôt calme. Avec un investissement, un équipement technologique qui est aussi obsolescent, donc il faut renouveler régulièrement, qui n’est pas achetable ni exposable facilement. Tout ça nuit beaucoup au médium alors que c’est un médium qui peut être très sensible, qui peut dire des choses qu’une image fixe ne dit pas. Donc on fait un travail didactique, on a une équipe de médiateurs qui sont là. On a cette année organisé un atelier avec les enfants, qui va aussi leur apprendre à faire un film court basé sur les archives familiales. À travers la médiation, on présente l’art vidéo et à travers les visites guidées on essaye aussi d’introduire le co-construire. Car la médiation, c’est une co-construction de sens qui doit se faire avec le public. On intervient sur tout le long de l’année parce que c’est comme ça qu’on imagine le festival. Et je suis à chaque fois agréablement surprise par l’intérêt du public. Il y a trois, quatre passages devant l’œuvre, on se fait photographier devant l’œuvre, on revient on en discute. Il y a un rapport à l’œuvre qui est presque addictif et qui se crée tout au long de l’exposition.

Pélagie NG’ONANA, envoyée spéciale à Gabès ©www.noocultures.info

 

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