vendredi , 29 mars 2024
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The White Line de Desiree KAHIKOPO : le naufrage de la différence

www.noocultures.info – Fiction réalisée en 2020, en Namibie et d’une durée de 99 minutes, The White Line [La Ligne blanche], en compétition officielle, catégorie long métrage au Fespaco 2021, indique chez la réalisatrice Desiree KAHIKOPO un talent qui se révèle progressivement. A ses débuts interprète, actrice, directrice artistique, dramaturge puis productrice déléguée du célèbre réalisateur namibien Vickson Hangula, elle signe à travers cette fiction proche de la réalité historique de son peuple, une œuvre étonnamment révélatrice des lieux visibles et invisibles se dressant entre communautés de couleurs de peaux différentes.

Affiche du film

Voilà une caméra mitoyenne entre deux mondes, deux temporalités reposant sur un système de séparation et qui montre l’image de déconfiture d’un amour ancillaire s’affaissant face à la rudesse d’une sœur (d’une femme) blanche conservatrice jusqu’à la lie. Les plans sont gros et larges, comme pour dire le défilement des émotions ! The White Line rouvre le livre des histoires impossibles consignées par l’envie de dire ou de montrer, par la distance, ce que la norme d’une époque exigeait des races… à travers des préjugés. Mais aussi un choix esthétique, comme le prolongement africain des films d’époque réalisés sur une Amérique de ségrégation raciale.
Le film charrie une impression de déjà vu, certes ! Cependant, elle est utilement ressassée par le scénario. L’historicité repeint le décor d’un film fortement teinté de costumes parlants : les longues robes de Sylvia et de son amie, les coiffures, les coupes de voitures et cette tendance à filmer les grilles, métaphore d’une séparation de deux races, n’en parlent que mieux.

Sylvia, la Noire des quartiers marginalisés, qui cherche chez les Blancs de quoi sauver une dignité déjà en lambeaux, malmenée par l’ignominie d’un épouvantable ordre, et dont le père au corps bousillé par la main trop forte du répresseur, n’a aucune idée du lendemain quand elle prend chaque matin le chemin de ses motivations personnelles. Aussi, l’arrogance d’une patronne au racisme assumé, à la mesquinerie sans cesse renouvelée, participe-t-elle à l’intrigue qui se joue dans un espace sentimentale réduit comme peau de chagrin.
Pieter est la seule figure (blanche) et/ou humaine de bonté, si l’on peut dire. Il est écartelé entre la naïveté et la bonté d’une âme. Il incarne la figure de l’ordre, de la réparation face à l’injustice, et quelque peu de la repentance des péchés de ses proches.
Le personnage de Pieter aux images de cette fiction offre de nombreux motifs de vouloir connaitre les conséquences de ses naturels errements dictés par l’amour d’une fille noire, surnommée « Kaffir ».

La réalisatrice joue sur la dialectique de l’espace et des sentiments, de l’arrogance et de la résignation pour mettre à nu des dualités tantôt sourdes, tantôt bruyantes. Avec une meneuse de scène – pour ainsi dire – Ana, l’éternelle femme puissante qui tient entre ses mains et surtout dans ses discours, l’ordre et l’équilibre de son clan humain de Blancs et de Blanches, pour éviter la honte de la souillure.

Le choix du scénariste Micheal Pulse (Desiree Kahikopo est l’autrice de l’histoire originale) d’aménager à Anna des espaces de paroles dans son scénario répond fortement à la conscience de l’existence de deux temporalités tantôt soulignées, relativement aux deux races se côtoyant dans une Namibie, avec conséquemment deux territorialités délimitées et qui pourtant s’imbriquent par la nécessité. De cette imbrication surgira le croisement des regards d’un Pieter et d’une domestique éprouvée par sa propre condition sociale. Peu importe, l’idylle deviendra réalité.
Une réalité de désespoir…dirait-on ! Assujettie qu’elle est à un « Pass » (« Laissez-passer »), comme celui délivré aux indigènes pour circuler la nuit. Pieter et Sylvia n’en recevront point un de la part d’Ana. Et comme si leur destinée amoureuse était du blues, le chantage de violence de cette dernière finit par sonner le glas d’une union que la parenthèse d’échanges de lettres et de rendez-vous cachés ne pourra sauver.

Par-delà les décors, la tonalité musicale du film est une sorte de creux dans lequel s’échouent à la fois, les sentiments déçus, la colère étouffée, la révolte contenue, les paroles acides d’une Blanche et une finalité revancharde, mais hélas tardivement venue derrière la marche du temps.
Une fiction bien proche de ce que l’histoire raconte, quand bien même il est le résultat de l’imaginaire de l’altérité, et du ressenti de son auteur.

Bassirou NIANG (Sénégal) ©FACC / NO’O CULTURES
Article rédigé dans le cadre de l’Atelier FACC / NO’O CULTURES / FESPACO 2021.
Atelier de formation en critique cinématographique et de production de contenus sur les cinémas africains, organisé à l’occasion de la 27è édition du FESPACO par la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC) en collaboration avec le Programme NO’O CULTURES

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