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« Duga, les charognards » : miroir d’une société où la morale agonise

www.noocultures.info – « Duga, les charognards » est un film réalisé par les Burkinabè Eric Hervé Lengani et Abdoulaye Dao, et sorti en 2019. Il amène à repenser la vie en société, le vivre ensemble et pose des questions sur les religions.

La famille de Pierre refuse que sa dépouille soit portée sous terre au village. En ville, l’Eglise catholique n’en veut pas, Pierre n’a pas de carnet de baptême. Les musulmans n’acceptent pas d’inhumer le corps d’une personne qui n’a jamais su faire les cinq prières du jour. Le pasteur ne l’accepterait que si l’épouse de Pierre se convertit dans l’heure. Même la morgue exige d’être payée pour accueillir le cadavre de Pierre.

C’est à travers ce nœud gordien que les réalisateurs nous entraînent durant 1 h 30 mn. Rasmane chargé d’accompagner son ami Pierre à sa dernière demeure, est pris dans un imbroglio. Dans ce labyrinthe tenu par la tradition, les règles qui régissent la société et les religions révélées, les réalisateurs font traîner un cadavre plutôt que de montrer la révérence due au mort.

A travers la mort qui aurait pu être une histoire banale, les réalisateurs arrivent à décrire une réalité insoupçonnée, de façon originale et déroutante. Ils mettent à nu une facette des religions. La solidarité avec les plus démunis, les pauvres, prônée par toutes ces religions est foulée au pied alors que Dieu est dans toutes les bouches. Il est imploré pour sa clémence même dans les salutations les plus basiques. Mais les actes ne traduisent pas ce que l’on chante.

Le récit se construit en deux temps. D’une part, l’histoire d’un défunt qu’on peine à enterrer, et de l’autre, celle d’un nouveau-né abandonné dans une décharge. Entre les deux, la morale est mise à rude épreuve. L’opprobre jetée sur la dépouille de Pierre et un bébé retrouvé dans une décharge, la corruption, l’administration défaillante, le sectarisme sont, entre autres, les maux par lesquels ce film dépeint la société burkinabè.

Le rejet de la dépouille à chaque niveau marque les esprits et fait prendre conscience de l’impuissance de l’homme, de l’hypocrisie de la société. Les actes que l’on pose envers l’autre devraient définir l’humain et non les croyances. Dans la vie, nous avons tous besoin les uns des autres, et même de plus petit que soi. Le regard de mépris, de dédain que les uns jettent aux autres traités de « charognards », alors que Pierre ne trouvera le salut qu’auprès d’eux, est assez illustratif.

De façon naturelle sans filtre, le récit est réaliste et poignant. Il est remarquablement interprété par Charles Ouattara, plus connu sur les planches dans le rôle de Rasmané, déterminé à enterrer dignement son ami. Des acteurs bien connus du petit écran burkinabè, Serge Henri, Ildevert Méda, Abdoulaye Komboudri, Georgette Paré et l’acteur malien –et non des moindres- Hamadoun Kossogué, ont apporté de leurs expériences.

Ces jeunes chômeurs désœuvrés, assimilés à ces grands oiseaux éboueurs, que l’on nomme les charognards, laissent transparaître un lien fort
et le titre l’illustre bien. Le choix de la ville aussi. Boromo, cette ville carrefour regorgeait de ces rapaces dans un passé récent. Les  réalisateurs nous amènent aussi à la découverte de la belle végétation de la région qui a servi de décor. Néanmoins, si la flore était bien illustrée, la faune a manqué. Pourtant Boromo est une région réputée pour la richesse de sa faune.

Scénario riche, profond et émouvant, Duga est le geste d’hommes qui ont traîné leur bosse dans le cinéma. Guy-Désiré Yaméogo, auteur des séries « Quand les éléphants se battent » et « Vis-à-vis », ainsi que des films « Nous pas bouger » et « Une femme pas comme les autres » troque ici sa casquette de réalisateur pour la mise en scène aux côtés de son fidèle collaborateur Abdoulaye Dao et d’Eric Hervé Lengani, un habitué des documentaires.

Toutes ces casquettes réunies ont donné à voir un beau film qui d’ailleurs a représenté valablement le Burkina Faso à l’édition cinquantenaire du FESPACO tenue en 2019, et a remporté le prix CEDEAO et le prix Signis.

 

Reveline SOME (Stagiaire) ©www.noocultures.info
NB : Article produit dans le cadre de la 1ère session de la formation en critique d’art organisée par l’Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle – APIC

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