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Covid 19 et culture : impacts et perspectives de sortie de crise 3/8

www.noocultures.info – Déclenchée en décembre 2019 à Wuhan, en Chine, la pandémie qui sévit partout sur la planète n’a pu faire l’objet d’aucune prévision ou prédiction de la part d’aucun analyste. Même les meilleurs scénaristes de Hollywood ne pouvaient l’imaginer ni dans sa densité ni dans son ampleur.  En l’espace de trois mois, la quasi-totalité de l’économie mondiale s’est retrouvée à l’arrêt. L’économie de la culture n’a pas échappé à cette nouvelle donne soudaine, profonde et d’une amplitude inégalée.

Lire aussi : Covid 19 et culture : impacts et perspectives de sortie de crise 1/8

Section 3 : Livre et presse

La chaîne du livre, à l’instar des autres domaines d’activité culturels, est également touchée par la crise sanitaire en cours. Les librairies, les bibliothèques, les centres de lecture publics, les salons du livre ont été durement et négativement frappés par les restrictions imposées du fait de la pandémie tandis les ventes en ligne de livre papier, les plateformes de téléchargement de livres numériques, la consultation de bibliothèques numériques  connaissent une affluence sans précédent depuis le début de la période du confinement.

Impact sur l’offre de livres

Traditionnellement, les librairies représentent le  lieu de rencontre de l’offre et de la demande livres. Toutefois, avec la révolution numérique, on assiste à l’émergence de canaux alternatifs d’écoulement  profit de cette filière. Ainsi, pendant que la fermeture des librairies  entraînait une baisse drastique de leurs chiffres d’affaires, les canaux numériques enregistraient des taux de fréquentation exceptionnels. Il est tout de même important de noter que les prestations offertes par les libraires ne se limitent pas à la vente. Le contact et les conseils sont difficilement substituables.

Ainsi, toutes les prestations classiques des librairies étant tributaires de la présence physique des consommateurs, il ne leur est pas possible de continuer à les leur proposer. Heureusement, certainement grandes librairies dans les pays du Nord ont leurs propres plateformes de téléchargement de livres numériques. Elles ont donc connu une embellie sur ce segment de leurs activités de même que les plateformes indépendantes ou celles directement liées à des éditeurs. Les autres librairies, notamment celles qui sont situées dans les pays du Sud, ont assisté impuissantes au tarissement de leurs sources de revenus.

Selon Livres Hebdo et JFK  cités par  ID Boox, le confinement a entraîné en France, des « chutes vertigineuses du marché du livre : -97% pour les guides touristiques, -90% pour  les livres d’art, 84%  pour les sciences humaines ». Ces  chiffres sont à comparer avec ceux de la même période de l’année 2019. Ils sont d’autant plus alarmants qu’il s’agit d’une industrie relativement florissante avant l’arrivée de l’épidémie. Les résultats de l’étude annuelle de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) pour la période 2018 / 2019 portant sur 58 pays révèlent un chiffre d’affaires de 42,5  milliards de dollars (38,2 milliards d’euros) pour l’industrie du livre.

Le livre numérique a été le principal produit de substitution du livre papier au cours de cette crise sanitaire. Un véritable engouement a été noté pour le livre numérique. Il est à craindre que  cela change en profondeur les habitudes des lecteurs, même après le confinement. Les librairies classiques risquent de payer un lourd tribut dans la phase post-covid. Vivlio affirme que les versions numériques des livres ont connu une augmentation de 88% sur la période de confinement. « les chiffres des ventes d’ebook sont inédits : le nombre de commandes d’ebooks a été multiplié par 7 sur la période confinement et le nombre d’ebooks commandés par 15», selon le communiqué de Vivlio.

Lire aussi : Covid 19 et culture : impacts et perspectives de sortie de crise 2/8

Une autre possibilité de se procurer des livres pendant le confinement, sans se déplacer, est la commande en ligne. Amazon est célèbre dans cette activité mais il existe d’autres prestataires. La  possibilité est offerte aux lecteurs de plusieurs librairies de passer les commandes en ligne, sur leurs sites Internet, pour être livrés chez eux. Ce canal a été également sollicité par beaucoup de lecteurs qui s’accommodent difficilement de liseuses, d’écran d’ordinateur ou de tablettes. Il est clair que le risque de contamination par le covid 19 n’est pas totalement écarté dans ce cas de figure, comparé au livre numérique. Seulement, les habitudes ont la vie dure et il faudra encore compter avec le livre papier pour quelques temps encore.

Les salons du livre constituent une autre source de revenus pour la filière mais ils ne sont pas que cela. Ceux programmés pour 2020 ont été annulés pour la plupart. Ceci prive les éditeurs des revenus générés par ces événements. Certains d’entre eux font jusqu’à 95% de leurs chiffres d’affaires annuels au cours des salons.

Prises globalement, les maisons d’édition par contre ne devraient pas souffrir des conséquences de la pandémie sur leurs prestations. Non seulement leurs activités se prêtent au télétravail mais en plus elles sont beaucoup plus sollicitées qu’avant la période de confinement. Le seul impact significatif devrait porter sur la nature des œuvres. Les versions numériques devraient être priorisées au détriment des versions papier. Ceci amène à s’intéresser également au niveau d’activités des imprimeries.

Les imprimeries constituent les usines de reproduction de la chaîne des valeurs dans la filière « livre et presse ». Leurs activités jugées non essentielles dans la riposte contre le nouveau coronavirus, ont été mises à l’arrêt. Les revenus y relatifs ont, par ricochet, connu une chute vertigineuse. Cette baisse d’activité ne manquera pas d’impacter – effet domino oblige- les industries spécialisées dans la fourniture des intrants que sont le papier et l’encre.

Quant aux écrivains, les véritables fournisseurs de la principale matière première de la chaîne du livre (le contenu), ils connaissent l’habitude de l’isolement. Des résidences d’écriture sont souvent organisées en leur faveur, afin de les aider à se retrouver dans les conditions devant stimuler l’inspiration qui leur est nécessaire pour une production de qualité. La période de confinement devrait logiquement leur permettre de mettre le temps à profit pour produire des manuscrits à soumettre ultérieurement à leurs maisons d’édition respectives. Les parutions des prochains mois permettront de corroborer cette hypothèse.

Impact sur la demande de livres

Le besoin de lecture n’a jamais été aussi grand que pendant la période de prévalence de la pandémie. Cela pourrait se comprendre: les populations confinées devaient utilement meubler leurs journées devenues exagérément longues. Les versions numériques ont été celles qui ont réellement tiré leurs marrons du feu. Les versions papiers auraient davantage été sollicitées si la fermeture des librairies n’avait pas été décrétée un peu partout dans le monde car jugées non essentielles. Les commandes en ligne n’ont pas réussi à combler ce manque.

Cette demande de livre provient évidemment des lectorats habituels mais aussi de personnes qui n’avaient pas forcément pour habitude de consommer ce produit culturel. Ceci constitue une bonne nouvelle pour le marché du livre qui enregistre de nouveaux consommateurs. Il reste à espérer que cette demande conjoncturelle se pérennise pour le plus grand bonheur des professionnels du livre. Le niveau de la demande du livre après la période de la crise sanitaire devra être surveillé, en comparaison avec la période d’avant l’arrivée du coronavirus, afin d’apprécier le caractère conjoncturel de la demande pendant la crise sanitaire. Pour l’instant, les librairies physiques sont les plus grands perdants de cette hausse de demande dont elles ne sont pas en mesure de profiter pleinement. Il est à craindre qu’elles soient confrontées dans les prochains mois à de sérieuses difficultés économiques, au regard du niveau élevé qui caractérise leurs coûts fixes.

Perspectives de reprise

Dans la filière « livre et presse », l’impact économique de la crise sanitaire devrait être globalement positif, du fait du besoin de lecture induit par la période de confinement. Avec le début de la reprise des activités économiques observée surtout en Europe, cette demande additionnelle enregistrées pendant la période de confinement devrait connaitre une baisse, sauf pour les librairies qui devront retrouver graduellement leur niveau d’activité d’avant covid 19. Les perspectives ici aussi se présentent sous forme de scénarii.

Scénario 1 : courbe sous forme de cloche allongée vers la droite (réaliste)

Il est possible que le besoin de lecture, créé par le confinement, se maintienne après cette période. En prenant en compte la demande des lecteurs conjoncturels, une légère  baisse devra être observée dans la phase de reprise des activités économiques.

Graphique 1 : Revenus  de la chaîne du livre prenant en compte la demande additionnelle induite par la pandémie du coronavirus

Légende :  Après avoir connu une hausse brusque en mars 2020, le chiffre d’affaires de l’industrie du livre baisse  avec la reprise progressive des activités économiques.

Scénario 2 : Forme sous forme de « r » (optimiste)

Malgré  la reprise des activités économiques, les habitudes créées pendant la période de confinement, en ce qui concerne la lecture, se maintiennent et créent une hausse soutenue des chiffres d’affaires dans l’industrie du livre.

Graphique 2 : Revenus  de la chaîne du livre en cas  de maintien de la demande additionnelle induite par le confinement

Légende : Les revenus générés par l’industrie du livre se maintiennent à leur niveau atteint pendant la période de confinement.

Scénario 3 : Courbe sous forme de cloche(pessimiste)

Il est à craindre une paupérisation des lecteurs dû à l’arrêt de l’économie observée un peu partout dans le monde. Les besoins de la période post-covid pourraient s’orienter vers des considérations moins culturelles, en comparaison à la période de confinement. Dans un tel contexte, les budgets alloués par les ménages aux activités culturelles, dont la lecture, pourraient être réduits. Ceci ne manquera pas d’impacter négativement les revenus de la filière dans la période post-covid 19.

Graphique 3 : Revenus  de la chaîne du livre en cas  de réduction des budgets culturels des ménages

Légende : Les revenus générés par l’industrie du livre se chutent après la période de confinement.

Conclusion partielle

En dehors des librairies et des imprimeries, la chaîne du livre devrait être positivement impactée par la crise sanitaire due au nouveau coronavirus. Toutefois, compte tenu des charges fixes supportées par les librairies et les imprimeries, les interventions publiques dans cette filière devraient leur donner la priorité. Les différentes structures en charge de l’organisation des salons du livre aussi devraient avoir été négativement impactées par la crise. Les commandes publiques et les crédits d’impôts devraient permettre de porter assistance aux libraires et imprimeurs tandis que des subventions d’exploitations permettraient aux organisateurs des salons de compenser les dépenses déjà engagées avant l’annulation de leurs événements.

A SUIVRE…….

Par William CODJO, Expert en gouvernance et économie de la culture ©www.noocultures.info

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