Home A la Une « Auto bio » de Joel Kokou Djagbavi : une écriture pertinente pour dénoncer la violence en héritage
A la UneCritiques

« Auto bio » de Joel Kokou Djagbavi : une écriture pertinente pour dénoncer la violence en héritage

www.noocultures.info – Présenté il y a trois ans à l’Institut Goethe de Lomé au Togo, ce spectacle qui a enveloppé drame, satire et comédie dénonce un mal réel et encore actuel dont souffre notre société. Au-delà d’un texte puissant par sa poésie, du jeu d’acteurs, de la scénographie et surtout de la coalition de différents arts notamment, la musique, la danse et le Slam, « Auto Bio » est une œuvre marquante et bouleversante de sincérité et de force.

 « Auto bio » de Joel kokou Djagbavi retrace l’histoire de Madame Agossa Adjovi Bertine Lea Sogbossito de Zangbéto, une femme qui fut victime de plusieurs violations (viols, abus…) dans sa jeunesse et qui est devenue aujourd’hui une femme très influente dans son pays. Elle nous raconte son vécu. Au prime abord, le metteur en scène choisit de présenter sa pièce sous le prisme d’une émission télé, dans laquelle est reçue Mme Agossa. Notre personnage s’adresse au public présent mais aussi à cet hypothétique téléspectateur devant son poste de télé.  La narration de son histoire est le sujet d’un reportage diffusé par séquences au cours de l’émission.

Le spectacle s’ouvre ainsi sur  un plateau avec un caméraman, un animateur et notre invitée. Après une courte introduction faite par le journaliste, « Coupé », place au premier épisode !

Sous une lumière froide et un son mélancolique, une femme accroupie avance lentement vers le centre de la scène. Arrivée à la première chaise, elle se retourne nerveusement comme si elle était suivie par quelque chose ou quelqu’un. La peur se lit sur son visage. Quelques pas encore vers la seconde chaise à sa droite, elle reprend son calme et sourit. Un sourire qui ne durera qu’un instant, puisque les souvenirs du mal sont encore bien présents dans sa tête. Une fois qu’elle prend place, elle lance un cri, elle balance ses mains et ses pieds, elle est en colère, elle pleure. Et elle commence à raconter sa vie, une vie faite de douleurs. : « mon premier rapport je l’ai eu à 12 ans. Je n’ai pas aimé ça !. Depuis, je n’aime pas les hommes. Pour moi, l’homme a l’odeur du poisson… »

Par moments, le texte évoque les violences faites aux femmes, mais pas seulement.  Dans une forme amèrement caricaturale, il met en exergue toutes sortes de violations de droits et d’atteinte aux libertés, notre lot au quotidien.

Le personnage de Mme Agossa est incarné fabuleusement par la comédienne togolaise Hanifa Dobila. Sa gestuelle, sa prise de l’espace, sa présence qui remplit la scène, le ton de sa voix qui évolue selon son état, son humeur triste et joyeuse sans débordement et la force de son interprétation nous met face à la dure réalité. Des textes poétiques de voix off viennent soutenir l’action, la danse et le slam se mêlent au propos dans une écriture pluridisciplinaire subtile et sensuelle qui ne saurait laisser indifférent aucun spectateur. Les mots vous hypnotisent, vous percent et vous frappent en plein cœur. Vous vous retrouvez très vite dans la peau du personnage, à ressentir ce qu’il ressent. Et la magie opère !

Un des éléments forts de ce spectacle est aussi la lumière. Bien présente dans toutes les scènes, elle marque les transitions, guide le public à travers les différents moments de la pièce, mais pas seulement ; elle crée des zones d’ombre et de lumière à l’image de notre personnage fait de clair-obscur.  Et Quand l’ombre met fin à un acte et que la lumière nous présente le suivant, nous transitons sans difficulté d’un espace à un autre et d’un univers à un autre, du plateau d’émission à la maison de Mme Agossa vers le slameur, pour que la musique intervienne et devienne à son tour, porteuse de message.

Un miroir social

William Shakespeare disait que « le théâtre a pour objet d’être le miroir de la nature, de montrer à la vertu ses propres traits, à l’infamie sa propre image, et au temps même sa forme et ses traits dans la personnification du passé ». Cette citation trouve bien son sens dans « Autobio » de Kokou Joel Djagbavi.

La trajectoire du personnage de Mme Agossa est intriguant. Après une enfance aussi tourmentée et douloureuse, elle devient ‘’dominatrice’’ et autoritaire par la force des situations ; son foyer et son mari en subissent des coups. Cette même autorité abusive, son fils Max l’exercera sur le petit-fils Xam. Ce dernier, pourtant passionné par la musique et rêvant d’une carrière d’artiste se retrouvera dans l’armée contre son gré. Il devient lieutenant par la force et les magouilles de son père, le Sergent Max.

Dans la dernière scène, les deux hommes s’expliquent et en viennent à une scène de lutte. Le scénographe a réussi à nous entrainer dans un autre lieu avec deux cordes parallèles tirées à l’horizontal, en guise de ring. « L’idée de la corde est partie du fait que la vie déjà c’est un combat. On est tous sur un ring. Il y a des moments où les deux cordes ne sont pas présentes, là ce n’est plus un combat physique mais c’est plus une introspection. Dans tous les cas, il y a toujours un combat », a laissé entendre le metteur en scène.

Cette représentation renvoie les spectateurs (acteurs impliqués directement ou indirectement) à la nature de la société qu’ils créent aujourd’hui par leurs actes et les conséquences qui en découlent.  Le moins qu’on puisse dire est qu’il s’agit d’une pièce qui s’inscrit dans une proposition engagée. Cela est d’autant plus logique quand nous savons que le dramaturge et metteur en scène Kokou Joel Djagbavi est consultant externe au Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo (CACIT). Il nous confie d’ailleurs qu’il compte désormais orienter ses textes vers la promotion des Droits de l’Homme.

« Autobio » c’est la « correction des vices des hommes en les divertissant », comme l’a écrit Molière. Les quelques moments de drôlerie et de comédie notamment, les agissements indiscrets et risibles du cameraman lors de l’émission, les disputes de Mme Agossa avec son mari, ainsi que le concert donné par le petit fils Xam n’ont pas brouillé le message. Bien au contraire, ce fut une panoplie d’émotions offertes aux spectateurs pour que du côté du public, les éclats de rires laissent place au silence total.

Des acteurs en manque

S’il faut reconnaître que les comédiens ont admirablement interprété les différents rôles pendant ces 60 minutes qu’a duré le spectacle, il faut aussi dire que plus de comédiens auraient été la bienvenue.

En effet, dans « autobio », Madje Markus Sossoukpo interprète à la fois le caméraman, le mari (de Mme Agossa), et le rôle de Xam (lieutenant, fils du sergent Max, petit-fils de Mme Agossa). Il est par ailleurs assistant à la mise en scène et voix off. Joel Kokou Djagbavi, quant à lui est l’auteur, le metteur en scène et comédien campant les rôles du journaliste et du Sergent Max. Il est aussi voix off.

La scène 6 représentée par le Sergent Max et son fils aurait bien mieux fonctionné avec deux nouveaux visages. En plus du changement du décor, de nouveaux comédiens placeraient vraiment les spectateurs dans un autre univers. Cet acte demandait un peu plus d’énergies nouvelles. En somme, plus de comédiens pour le nombre de rôles disponibles, nous aurait confronté à diverses énergies et jeux et la mise en scène de « Auto bio » ne pourrait qu’être encore meilleure.

Akouavi Grâce DAGONA (Stagiaire / Togo)
NB : Article produit dans le cadre de la 1ère session de la formation en critique d’art organisée par l’
Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle – APIC

1 Comment

Comments are closed.

Related Articles

A la UneAfrique de l’OuestArts vivantsFestival & RencontresFrançais

Musique : les dates de la 10e édition du festival Togoville Jazz dévoilées

Concerts, ateliers de renforcement de capacités, rencontres, réseautage et plaidoiries constituent l’essentiel...

A la UneArts vivantsFrançaisInterviewsNO'OCULTURES TV

[INVITE] : Mory TOURE (Mali)

Entretien avec celui qui refuse qu'on l'appelle "journaliste".