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Al Amana de Aché Ahmat : Adolescence émancipée au Tchad, un combat

www.noocultures.info – Sorti en 2017 et présenté dans plusieurs festivals à travers le monde, Al Amana, écrit et réalisé par Aché Ahmat Moustapha ex-Mme Aché Coelo est un court-métrage (15m 16) ambitieux sur la difficile voie de l’émancipation de l’adolescente tchadienne, ballotée entre un islam traditionnaliste et l’omniprésence de certains us et coutumes, rétrogrades à bien des aspects. Ce film musical, une fiction, constitue une vraie invite à la protection de l’adolescente.

En dédiant le film à sa fille Nadia, «son soleil» et «sa raison de vivre», la réalisatrice expose une certaine réalité crue et blafarde du quotidien d’une société tchadienne tentant d’étouffer les velléités d’émancipation de l’adolescente du 21ème siècle, tournée vers la modernité et déterminée à s’affranchir du joug du patriarcat. Al Amana («la confiance» en arabe) se veut une fiction qui étale les tares de la société.

Habiba, une adolescente de 16 ans, orpheline de mère et vivant avec un père atteint de cancer, s’agrippe à son idéal de devenir musicienne. Son oncle Dout, en bon gardien des us et coutumes de la société, se dresse contre cet idéal en lui interdisant l’école et la musique. «Diablesse ! Je t’ai défendu de ne pas faire le travail des griots. Musique terminée ! Ecole, il n’y aura pas du tout !», lui assène-t-il. Un vrai parcours du combattant commence alors pour l’adolescente qui souhaite se départir de ces entraves pour réaliser son rêve.

Dans cette partie de lutte de David contre Goliath,  Aché Ahmat Moustapha a très clairement opté pour la modernité à travers la trame de son récit. Les scènes d’ouverture brossent le portrait d’une adolescente décidée, énergique parcourant de ses doigts les claviers d’un piano et se chauffant la voix. Comme quoi, pour aller au combat, on fourbit ses armes et ses plans. Habiba, un «bijou», un vrai joyau laissé par sa défunte mère symbolise la préciosité des jeunes filles dans nos sociétés actuelles, qui buttent sur la modernité. Aussi fragile et sensible, la jeune fille mérite une attention particulière et une protection pour son épanouissement. «Qui éduque une fille, éduque une nation», dit-on.

Avec Al Amana, Aché Ahmat Moustapha tente de dompter avec la modestie de ses moyens techniques (un cameraman, deux assistants lumière, un machiniste et un ingénieur son), l’univers d’une certaine adolescence vivant dans son monde rythmé par une modernité à toute épreuve. Certains mouvements de la caméra portée, tournant autour des comédiens, et surtout dans la scène finale, s’effacent pour laisser la place à une lumière «plein feu». Une manière de lorgner l’avenir avec optimisme. Et comme pour rompre avec les réalités de notre société orale tirée par les non-dits, les silences, les mystères et autres, la réalisatrice privilégie les dialogues dans cette fiction. D’abord discrets, ils finissent par entraîner le spectateur dans les détours de la trame du récit.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, une partie de la société tchadienne fortement ancrée dans un Islam conservateur, voit d’un mauvais œil la musique «relevant exclusivement des prérogatives du diable, ennemi d’Allah». Même après un demi-siècle d’indépendance, elle continue à considérer cette discipline culturelle, «chose profane», comme un symbole de déshonneur, de dépravation de mœurs et une perte de temps inutile. Elle assimile également l’école occidentale à une «arme redoutable de déstabilisation de toute base d’une société africaine respectable, trainant derrière elle des siècles d’histoire islamique, incarnée par sa jeunesse».

Al Amana décrit une structuration sociale, héritée des reliques de traditions ancestrales, considérant les musiciens, tout comme les griots, comme des citoyens de seconde zone et relégués en marge de la société tchadienne. La musique tout comme l’éducation occidentale (école) rime chez une partie non-négligeable de Tchadiens pratiquant un islam rigide avec l’incitation à la débauche. «Ce que tu fais n’est pas digne de notre famille. Mon frère agonise et tu lui portes la poisse. Tu le brûles vivant du feu de l’enfer. Qu’Allah te maudisse ! », annonce Dout, l’oncle de l’héroïne, mandaté pour prendre soin d’elle.

«Le meilleur pour une fille est d’être dans son foyer et de s’occuper de ses enfants. Tu dois suivre l’exemple de tes cousines, toutes mariées avec des enfants dans leurs foyers. Ce qui fait ma fierté». L’idéal pour toute famille ancrée dans la tradition et pratiquant un islam «trop rigide» se trouve contenu dans ces assertions de Dout. Or, l’adolescente d’aujourd’hui vivant dans un monde, devenu un village planétaire grâce au développement des Nouvelles Technologies de l’Information et la Communication, ne se laisse pas «descendre facilement» par un oncle conservateur et une société allergique à tout changement.

Pour pouvoir imposer son émancipation, Habiba doit griller les règles primaires de la société en affrontant son oncle d’égal à égal. Consciente des conséquences néfastes du mariage de la jeune fille, à peine franchies les limites de l’enfance, trop lourdes et quelques fois irréparables, elle arrive à tenir tête «vent debout»«Zina est mariée à l’âge de 15 ans et elle a la fistule. Méram est mariée de force. Mariage forcé. Elle se fait battre par son mari chaque jour. Et tu n’es pas au courant. Haoua, Allah lui accorde le paradis, tu l’as amené en vacances voir ses grands-parents. Elle est excisée et est morte. Tu parles de fierté. Quelle fierté ? Fierté de qui ? Ni pour moi ni pour mes cousines. Arrête de me parler de fierté».

La réalisatrice, sociologue de formation et membre du Conseil Présidentiel pour l’Afrique du président français Emmanuel Macron, brosse également dans son court-métrage un passage de témoin entre la chanteuse Mounira Mitchala, lauréate du prix découvertes RFI 2007 et sa petite sœur Bouchra Alio. Dans cette veine, Mounira Micthala, «la Panthère douce» apparaît comme le trait d’union entre la société tchadienne d’avant, plus conservatrice et celle actuelle secouée dans tous les sens par les tourments de la modernité. Elle s’applique non seulement à passer le «bâton de commandement» de la chanson tchadienne, à la nouvelle génération incarnée par sa jeune sœur mais à défendre également l’idéal d’épanouissement de l’adolescente. «L’instrument du chanteur c’est son corps. Tout se passe ici (le ventre)», conseille-t-elle. Face à l’adversité, les deux dames sont confrontées à deux destins diamétralement opposés. Si Mounira Mitchala est issue d’une famille ouverte et réceptive à l’art, dans la vraie vie, l’héroïne du film est tout son contraire. «Tu vas me dire qu’à 16 ans, toi aussi ta maman est décédée et ton père souffre d’un cancer. Toi et moi, on ne ressemble pas», martèle-t-elle. La fougue et la hargne de la jeunesse finissent par prouver que le chemin de la gloire est toujours parsemé d’obstacles à franchir.

La rigidité aveugle du comportement de Dout irrite même le malade qui retrouve son calme et un sentiment de bien-être dans les bras et les chansons de sa fille. Le père même malade couché semble retrouver ses esprits en écoutant les quelques notes de chansons fredonnées par sa fille. «Tu aimes ça. Je vais continuer à chanter». La magie de la musique commence à opérer. Comme les médicaments. Les chants aussi procurent un peu d’aise et de sérénité.

Dans cette fiction musicale, par sa portée, la chanson d’amour «Abati samouni (pardonnez-moi mes parents)», composée par l’héroïne du film qui est aussi une chanteuse dans ses heures perdues,  traduit l’état psychique de la jeune fille. «Maman tu es parti. La vie est très dure pour moi. Mon cœur brûle et brûlera encore. Je vais faire comment. Papa tu es malade et souffrant. Tu partiras en me laissant avec mon oncle Dout qui me torture. Vous me laissez seule dans cette vie je vais faire comment! » Même face à ce dilemme, la musique semble adoucir les mœurs et apaiser les esprits, même les plus rebelles, grâce à son enchantement. La réalisatrice semble indiquer à travers son héroïne que le salut de la société peut provenir du développement du secteur culturel et notamment de la musique qui peut être le levier de l’éducation, de la sensibilisation ou de la dénonciation.

Ce portrait que nous offre la jeune réalisatrice tchadienne de sa société est plein d’enseignements. L’homme tchadien incarné par Dout qui ne montre pas ses émotions en public, se laisse parfois attendrir ou secouer par «l’ensorcèlement» de la musique. Al Amana peut aussi être un clin d’œil pour la valorisation du henné, art ancestral qui mérite protection et vulgarisation notamment à travers la scène de «réconciliation» entre l’héroïne du film et Mounira Mitchala qui refait la beauté de ses pieds.  Le henné, «tatouage naturel» permet, également, grâce aux caractéristiques de ses ornements aux pieds ou mains, d’affirmer la place de la femme dans la société. Aussi, l’adolescente de nos jours, consciente de son importance dans la société, bataille-t-elle énergiquement pour son autodétermination face à certaines agitations patriarcales. Une manche gagnée contre certaines pratiques religieuses rigoristes et le difficile poids à supporter de nos coutumes en déphase de nos réalités.

Dans ce court-métrage, les scènes majoritairement tournées à l’intérieur renvoient au cinéphile une réalité crue de l’enfermement psychologique dans lequel se trouvent beaucoup de gardiens des us et coutumes d’un autre temps. Avec un décor naturel, Al Amana, de par son ambition, constitue un pari gagné en rassemblant sur un plateau des comédiens confirmés comme l’acteur d’envergure internationale Youssouf Djaoro, la musicienne et comédienne Mounira Mitchala (Daratt de Mahamat Saleh Haroun) et la nouvelle pousse du cinéma tchadien incarnée par Bouchra Alio.

Mahamat Alhadi SALEH (Stagiaire / Tchad)
NB : Article produit dans le cadre de la 2ème session de la formation en critique d’art organisée dans le cadre du Programme NO’O CULTURES

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