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« À Mansourah, tu nous as séparés » : silence ! voici votre histoire, « authentique et intime »

www.noocultures.info – Documentaire sélectionné dans le cadre de la section « Diasporas ? » des Journées Cinématographiques de Carthage 2019 « Session Néjib Ayed », « A Mansourah, tu nous as séparés » de la réalisatrice algérienne Dorothée-Myriam Kellou propose un retour singulier sur la guerre d’Algérie. Durant cette période, des millions de personnes ont été déplacées par l’armée française et regroupées dans des camps. Avec pour guide son père, Malek, la réalisatrice entreprend un voyage à Mansourah afin de reconstituer cette mémoire que la plupart des jeunes ignorent. Interview.

Noocultures : A la fin de votre documentaire, on reste habité par les nombreux silences et la prédominance des plans larges. Qu’est-ce qui justifie cet approche ?

Dorothée-Myriam Kellou : Le silence dans le film pour moi traduit le silence d’un lieu, le silence des personnes. Je me suis dit qu’il faut laisser exister le silence car il raconte aussi quelque chose. Parfois, on a tendance à vouloir le remplir mais la meilleure manière de raconter ce silence qui traverse un lieu, une histoire ou des personnes, c’est de le laisser dans le film. Il y a donc cette dimension avec des voix dans un silence.

En ce qui concerne les plans fixes, j’aime beaucoup le travail de Hassen Ferhani (qui s’est occupé de l’image, ndlr), notamment parce qu’il laisse une liberté au personnage. Je trouve qu’il y a beaucoup de films où on vient arracher des émotions en rapprochant la caméra. On ne laisse pas le personnage libre de se raconter. Alors que pour moi, c’est comme si je leur offrais une scène et c’était à eux de se mettre en scène. Il n’y avait donc pas d’artifice, c’était eux qui se déplaçaient, qui se racontaient à l’intérieur de ce cadre.

Une liberté donc…

Surtout une dignité et un respect qui parfois manque dans un cinéma qui est très voyeuriste, qui va chercher vraiment les émotions. Dans le film, il y a des hommes qui pleurent par moment. Donc, il y a des caméras qui vont zoomer. Moi, par exemple, si je pleure, j’ai pas envie qu’on me zoome. J’ai envie qu’on respecte ce moment et qu’on garde une distance qui soit celle de l’amour aussi; une distance bienveillante.

La réalisatrice Dorothée-Myriam Kellou en discussion avec le public après la projection de son documentaire le 29 octobre à Tunis ©Eustache AGBOTON / Noocultures

Mais c’est un documentaire fait pour biser le silence sur une histoire. N’est-ce pas paradoxal ?

Pour moi, pour briser le silence, il faut le matérialiser. Et c’était vraiment l’idée de rechercher la mémoire qui existe dans un silence qui perdure. J’ai fait le film mais il reste encore tant d’histoires à raconter. C’était un élément important. J’aurais rempli artificiellement ce silence qui existe et qui perdure, sans plus. Or, le film vient briser un silence qui est celui de mon père et de quelques habitants de ce village. Sa présence dans le film permet de mieux faire exister la parole c’est-à-dire que cela vient souligner et permettre entre chaque témoignage de réfléchir à ce qui a été dit et d’en tirer quelque chose pour aller vers la suite.

C’est finalement ce que vous souhaitez qu’on retienne de votre documentaire ?

Je voudrais qu’on retienne le besoin de mémoire pour notre jeune génération qui grandit sans mémoire ou avec une mémoire parfois manipulée ou détournée. Notre génération a besoin de cette mémoire authentique et intime pour se construire dans notre identité.

Je voudrais qu’on retienne que  le déracinement  à travers la migration, à travers une politique de regroupement cause une rupture dans la transmission, parce qu’il y a une rupture avec un territoire, avec une culture locale. Quelque part, avec ce documentaire, on essaye de réparer l’irréparable.

Extrait À MANSOURAH TU NOUS AS SÉPARÉS from Krysalide Diffusion on Vimeo.

À Mansourah, tu nous as séparés
Un film de Dorothée-Myriam Kellou
2019 | Documentaire | 69 mn | Algérie, France
Production : Les Films du Bilboquet, HKE Productions, Sonntag Pictures, Lyon Capitale TV.

Propos recueillis par Eustache AGBOTON, envoyé spécial à Tunis ©www.noocultures.info