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A la poursuite du bonheur au cœur du désert

www.noocultures.info – « Qu’il en soit ainsi » est une pièce de théâtre de 42 pages divisé en quatre moments. Comme les empreintes de pas dans le sable, cette œuvre de la burkinabè Sophie Heidi KAM s’incruste dans nos esprits par les thèmes abordés tels que la quête de la liberté, la guerre, la mort, le bannissement, l’isolement, la perte de repères et les crimes rituels des albinos. Est-il raisonnable de lever le voile sur ce qui nous terrifie pour accéder au bonheur?

La philosophie est une matière qui me faisait peur lorsque j’étais au secondaire. Je m’appliquais à percer les pensées du professeur afin que nos idées se rejoignent ou à  être habitée par l’esprit de Socrate, de Thomas Hobbes, etc. En effet, je ne rêvais que des notes excellentes comme  17/20 et 18/ 20, parce que j’en avais marre des misérables 10/20 et 11/20. Mais hélas, peine perdue!

Et moi qui croyais m’en être débarrassée pour toujours, voilà que toi, Sophie KAM, tu m’amènes à philosopher sur la vie, l’existence humaine. Quel malheur ! Tu vois, les trous de mémoires et les vécus que nous préférons délibérément mettre aux oubliettes afin de mieux avancer dans nos vies sont ce qui rythme notre existence. Mais est-il vraiment bon d’enfouir, au plus profond de nos subconscients, ce qui nous fait horriblement mal ? C’est à cette interrogation que tu tentes sans répit de répondre dans ton œuvre. Rassures toi, tu n’étais pas toute seule dans cette affaire. Oh oui ! J’y étais avec Phil, Saïda et probablement tous ceux qui ont lu ta pièce.

Moi, je me suis demandée si je pouvais creuser dans ma mémoire le jour où….  J’abandonne car j’ai la chair de poule rien que d’y penser ! Je n’arrive même pas à voir la lumière, celle qui me conduira vers mon salut. Quoi ? Dois-je appeler «Celui qui voit et entend tout» ? Non, non je ne suis pas folle ! J’ai bien vu le mal être de Saïda à la page 23 et celui de Phil à la page 32. Ils étaient semblables à des fous, se parlaient à eux même, comme s’il y avait de la braise dans leur tête. «Pitié…ma tête est en feu ! En feu… » hurlait même Saïda.

Tu vois Sophie, je me mets à tergiverser comme prise par une démence inconnue. Personne ne me comprend, je monologue  avec le vide comme Phil qui  se convainc de discuter avec son ami d’enfance Freddy avec la télécommande d’un climatiseur. Alors, il serait judicieux que j’explique clairement  les choses à  mes  amis, que dis-je ? Aux lecteurs. Je m’égare parce que je ne sais plus comment les qualifier. Bref, je dirais tout simplement: «Vous» !

«Qu’il en soit ainsi» raconte l’histoire de deux personnes qui tentent de trouver le bonheur et échapper ainsi à leur triste sort. D’un côté, il y a Saïda, une albinos qui s’est enfuie pour se rendre au-delà de la Méditerranée afin d’éviter de servir de sacrifice. Et de l’autre côté, Phil ancien rebelle reconverti en vendeur d’eau dans le désert en vue de retourner les poches pleines dans son village pour sauver l’honneur des dépouilles de sa mère et de sa sœur. Mais pour atteindre leur but, ils doivent faire face aux parties obscures de leur mémoire avec l’aide du vent, détenteur de toute connaissance.

Voilà qui est fait, vous comprenez maintenant pourquoi je semblais être perdue ? En effet, j’essaie de faire une intrusion dans les parties sombres de mes souvenirs pour déceler ce qui conduira également à ma liberté.

Le sauveur de  mémoire

Le souffle du vent se dépose sur nos corps. Il est tantôt chaud, tantôt sec et tantôt frais. Mais ces sensations nous racontent-t-elles des choses? Tentent-t- elles de s’introduire dans nos veines telles des seringues afin de nous injecter un sérum? Sophie KAM, tu as choisi comme élément central de ton œuvre le vent du désert. Ce vent est riche car il a une particularité d’être à la fois détenteur de savoir et salvateur des âmes. Il connait tout et voit tout, rien ne lui échappe même ce qui se passe dans le cœur de tes deux héros.

Ainsi, lorsque Phil et Saïda se querellent, tu dis: «On entend le souffle du vent, grave et plaintif, il faiblit progressivement dans le silence.» Ou lorsqu’ il y a un moment d’accalmie, tu dis: «On entend le souffle du vent calme et léger.» A l’image de notre mémoire, ce vent se présente et quelque fois, il s’exprime ainsi «Souviens-toi de ces paroles, Saïda… » ou encore «Tes yeux et tes oreilles ont –ils oubliés ?… ». En plus, ce n’est pas un hasard que l’objet qui relie ces deux égarés de la vie soit la flûte. En effet, le vent diffuse son souffle dans cet instrument et sert à panser les cœurs meurtris de Phil et Saïda par des souvenirs heureux de leur enfance auprès de leurs familles.

L’écrivaine burkinabè Sophie Heidi Kam ©DR

Oh vent, toi qui te fait appeler «Celui qui voit et entend tout», berce moi donc de ton souffle curatif afin de me libérer de ma souffrance. Comme Phil et Saïda, j’aimerais que tu ôtes les charges qui pèsent sur mes épaules. Pour cela, je dois aussi me laisser guider par toi afin de passer à l’étape supérieure qui me conduira à ma destinée.

Sophie Heidi KAM, ton œuvre est un appel à une réflexion intérieure, une introspection de soi dans le but de se baser sur le passé pour construire un avenir prometteur. Aussi, il pose des réflexions sur les travers de nos sociétés tels que les sacrifices des albinos et les guerres qui engendrent une prise de conscience douloureuse. En plus, le personnage du vent est traité avec poésie, en réalité, il est la métaphore de notre conscience collective. Celle-là qui nous pousse souvent à bien agir, nous tourmente lorsque nous agissons mal et quelque fois, nous force à faire face à la réalité afin d’avancer sûrement. En sus, le titre «Qu’il en soit ainsi» évoque un sentiment d’impuissance qui nous anime, on prend ainsi avec philosophie les coups de la vie. Nous le percevons clairement à travers Phil et Saïda obligés de renoncer au bonheur à deux parce qu’ils n’ont d’autre choix que de se laisser guider par le souffle du vent et celui de leur destin.

Editée en 2014 à Ouagadougou par Sankofa éditions, la pièce de théâtre «Qu’il en soit ainsi» a obtenu le 1er prix du Grand Prix National des Arts et des Lettres (GPNAL) à la Semaine Nationale de la Culture (SNC) en 2012.

Anaïs KERE (Stagiaire / Burkina Faso)
NB : Article produit dans le cadre de la 1ère session de la formation en critique d’art organisée par l’
Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle – APIC

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